Perdu dans la campagne à plusieurs kilomètres de la ville, au milieu des pins et des champs de blé, Cuencanimal est un vaste refuge qui recueille, soigne et protège une centaine de chiens. Des chiens perdus ou abandonnés par des maîtres sans scrupule; des chiens rescapés des sévices et de la cruauté d’humains inhumains. Tous naufragés de la vie, tous des miraculés…

 

Des Galgos bien sûr, ces magnifiques lévriers espagnols utilisés pour la chasse aux lièvres et concours de chasse où les faibles et les perdants sont systématiquement tués et suppliciés : pendus long ou court pour résister plus ou moins à l’étranglement, jetés au fond d’un puits, empoisonnés, affamés jusqu’à la mort, amputés, "oubliés" dans un terrain vague museau et pattes ficelés, traînés derrière une voiture, vendus comme appâts de pêche ou comme cibles vivantes pour le tir. Leur agonie, la plus lente possible, doit laver le déshonneur de leur Galguero. Parfois, ils sont lâchement abandonnés dans la nature où ils tenteront alors de survivre sans eau ni nourriture. Ils meurent la plupart du temps après des jours ou des semaines d’errance. Les plus chanceux seront peut-être repérés par des âmes charitables : ce ne sont alors que des ombres faméliques, sauvages et apeurées.

 

Des Podencos aussi, au sort guère plus enviable : simples instruments utilisés pour la chasse, ils ne bénéficient pas non plus comme les Galgos du statut d’animal domestique. Ce sont donc des centaines de chiots qui naissent chaque année pour approvisionner « les stocks » avant la saison de chasse et presque autant d’adultes qui seront éliminés lorsque cette dernière est terminée.

 

Enfin, il y a tous ces autres que l'on nomme Croisés, plus ou moins racés, plus ou moins grands, plus ou moins vieux, plus ou moins beaux, plus ou moins « mal fichus », aucun ne se ressemble mais tous ont la même histoire: trouvés errants dans un village à la recherche de nourriture ou attachés sur le bord d'une route ...

 

Ce qui frappe d’abord quand on arrive à Cuencanimal, c’est la vitalité des pensionnaires ! Dans le grand patio d’entrée, nous sommes accueillis et littéralement assaillis par une horde de chiens fougueux et très curieux de faire notre connaissance, des amours de chiens qui se donnent à nous sans méfiance, quémandant caresses et contacts dans un concert d’aboiements joyeux. Un pur moment de bonheur 😉 Et puis l’on découvre des dizaines de regards doux, parfois encore un peu farouches ou distants mais pour la plupart apaisés ; car quand on n’a connu que la misère de la rue et la méchanceté de l' Homme, les conditions de vie ici sont merveilleuses : de grands espaces pour de longues récréations, des chenils couverts pour des siestes à l’abri, des niches bien étanches, des paniers et des couvertures pour des nuits chaudes, une gamelle remplie à heures régulières et de l’eau renouvelée tous les jours . Et surtout les gestes calmes, les caresses, les paroles douces, l’amour, la patience et le dévouement de Marie Josée, responsable du refuge et de Gonzalo, fidèle bénévole régulier. Véronica est l’autre responsable mais elle n’a pu aider le temps de notre séjour à cause d’une tendinite à l’épaule. Car il en faut de la patience et de la volonté pour rendre ces chiens traumatisés à nouveau confiants. Après le signalement d’un chien errant, il faut parfois plusieurs semaines pour approcher l’animal apeuré et réussir à le capturer. Marie Josée m’a raconté avoir passé une fois toute une nuit à attendre la venue d’un chien, nourri à heures régulières sur le même site pendant plusieurs semaines, et finalement « pris » par ruse au petit matin. Elle l’a baptisé Nocha en souvenir de cette nuit interminable à guetter dans le froid et l’obscurité…

 

Une fois au refuge, viennent les premiers soins chez le vétérinaire, puis le long travail de réadaptation et sociabilisation : il faut apprendre à s’approcher sans crainte de la main des soigneurs, apprendre à rentrer seul dans son chenil, apprendre à se détendre, apprendre à jouer, et un peu plus tard apprendre à marcher en laisse. Cela nécessite du temps et exige de la régularité et de la constance dans les soins, des encouragements à répétition, un climat serein, de la douceur et de la bienveillance…

 

La journée au refuge commence à 9 heures et elle est réglée comme du papier à musique. D'abord les soins et traitements médicamenteux, puis Marie Josée s’occupe des enclos particuliers : l’infirmerie où séjournent blessés, convalescents et nouveaux venus "en quarantaine", et les grands enclos des chiens isolés car encore peu sociables ou agressifs envers leurs congénères. Puis, les portes des chenils sont ouvertes et les chiens sont libres de se défouler dans trois grands patios de récréation. C’est alors pour Marie Josée et Gonzalo l’éternel recommencement du fastidieux travail de nettoyage. Été comme hivers, sept jours sur sept, il faut racler et ramasser les excréments, balayer les poils, la terre, et « lessiver » une cinquantaine de grands chenils en ciment dont certains ont un sol très rugueux, une centaine de niches et autant de gamelles et seaux d’eau. Secouer et plier les couvertures; remplir à nouveau les seaux d’eau. Il n’y a pas l’électricité, ici au milieu des pins ; l’eau est puisée dans un puits grâce à un générateur, il faut donc l’économiser. Depuis que Véronica est absente, Marie Josée et Gonzalo assurent seuls ces tâches ingrates. Parfois ils sont aidés de bénévoles irréguliers. Parfois Marie Josée est seule…Mais l’ambiance est toujours bonne. Malgré les aboiements, le climat est serein, agréable. Marie Josée et Gonzalo ne crient jamais. Ils ne font jamais non plus de mouvement brusque. Dans leurs allers et venues, ils n’oublient pas de caresser le chien qui les suit pas à pas, d’encourager celui qui s’approche tous les jours un petit peu plus d'eux, ou de lancer la "bellota" à cet autre qui ne pense qu’à jouer. Bien sûr, il manque du temps pour prolonger ces petits moments de bonheur ; aussi quand le travail s’accomplit plus vite grâce à de l’aide extérieure, alors ils prennent le temps de brosser, câliner et caresser davantage. Vers 14 heures, tous les chenils sont enfin propres. Marie Josée et Gonzalo appellent chaque chien. Presque tous rentrent d’eux même, chacun connait son « chez soi » et son colocataire de chenil. Le rituel est tous les jours le même. Certains Galgos se tiennent encore un peu à distance, alors Marie Josée s’approche et leur passe une laisse tout en douceur pour les accompagner. Elle les encourage systématiquement et les félicite : « Muy bien ! »... Il me semble encore l’entendre 😉. Puis vient la distribution de croquettes et elle est, encore une fois, très méthodique : toujours dans le même ordre, ration adaptée à chaque corpulence, gamelle posée à l’intérieur de chaque niche. Je n’ai jamais vu deux chiens se disputer la nourriture.

 

Il fait très chaud… Il reste encore un peu de rangement, et à charger les sacs d’excréments dans la voiture pour les emmener à la décharge. Les aboiements s’estompent, les chiens observent les derniers mouvements, s’installent sur les toits plats et inclinés des niches. Ils savent que Marie-Josée, Gonzalo et les bénévoles vont bientôt partir et ne reviendront que le lendemain matin.

 

Alors, chacun peut s’endormir paisiblement et rêver, qui sait, à un nouveau foyer.

Rêver à une nouvelle vie dans une vraie famille et une vraie maison. Peut-être…

Rêver aux nouveaux maîtres qui offriront la vie choyée tant méritée…Enfin !

 

Nous souhaitons remercier vivement Marie José et Gonzalo pour leur accueil chaleureux. Ce sont vraiment des gens formidables. Marie Josée est une fille épatante, naturelle, dévouée, passionnée, travailleuse, efficace… qui aime les animaux et « ses » chiens par-dessus tout. Nous avons partagé avec beaucoup de plaisir leur quotidien au sein de ce premier refuge et aidé du mieux que nous avons pu: Gioacchino et Andrea à quelques travaux de bricolage, Lucien et Ève aux caresses, papouilles et lancers de balles, moi au nettoyage des chenils et remplissage des gamelles 😉. Nous avons énormément appris...Des vacances différentes, certes, mais une très belle expérience humaine.

 

Merci également à Isabelle qui nous a orientés vers Cuencanimal, et à l’association Galgos France qui aide le refuge et œuvre pour l’adoption des chiens.